Notre partenaire Action d’Espoir sur le terrain après les inondations dévastatrices à Kalehe
Le 4 mai dernier, des coulées de boues ont emporté une grande partie des villages de Bushushu et Nyamukubi dans le territoire de Kalehe (Sud-Kivu). Le bilan est lourd : plus de 400 morts, 5000 disparus et des milliers de sinistrés (UN, 2023).
Action d’Espoir est le partenaire de Memisa au Sud-Kivu. Cette organisation sans but lucratif cherche à contribuer à la restauration des forces sociocommunautaires et économiques des personnes survivantes des crises diverses, partout où elle conduit ses activités. Ce mandat se traduit aussi en appui pour la promotion de la santé pour tous et en assistance humanitaire d’urgence en cas de calamités, dans l’objectif de soulager les victimes les plus vulnérables et leur permettre de rejoindre une phase de stabilité.
Marie-Noël Cikuru, Directrice d’Action d’Espoir, s’est rendue à Nyamukubi pour aller à la rencontre des habitants. Elle nous partage avec beaucoup de respect et d’empathie les notes prises durant sa visite.
Nyamukubi, 10 mai 2023, il est presque midi. Nous venons d’accoster, je m’élance du haut de la pirogue motorisée (il faut faire un bond jusqu’au sol pour en sortir) comme tous les autres passagers, et très vite, je suis sur la voie principale. C’était une route jusqu’il y a une semaine. C’est ici que passaient les véhicules pour relier les différents villages, et même les villes de Bukavu et de Goma. Je veux sentir l’air du lieu après la catastrophe survenue le soir du 04 mai 2023. Le lac reste la seule voie d’accès pour le moment. Depuis tous ces évènements, 6 jours sont passés, et le cauchemar dure.
Je salue, je passe les condoléances, je m’arrête pour échanger quelques mots. Un groupe de femmes, debout, au pied d’un manguier tout au bord de la route. Leur regard doux et aimable m’invite. Je demande ce qu’elles font là. « Rien ! répondent-elles à l’unisson. Nous tuons le temps. C’est pour ne pas rester seule à la maison. » Elles sont 4. Il faut dire que la route est remplie des gens qui vont et viennent, les locaux mêlés aux autres qui débarquent ou arrivent des villages voisins. Chacun avec sa mission, ses raisons. Parmi eux des « humanitaires » qui viennent pour évaluer les dégâts en vue d’une riposte.
L’une des femmes prend la parole et désigne tour à tour les autres. « Voyez-vous, celle-ci, par exemple, a perdu son fils. C’était un directeur d’école primaire. Il est mort avec 7 de ses enseignants alors qu’ils étaient en réunion. Tandis que celle-ci a perdu sa fille qui faisait la 5e des humanités… » A ces mots, la dame concernée se met à sangloter. Elle murmure quelque chose. Les autres veulent l’en empêcher. Je leur dis de la laisser verser les larmes qui lui viennent. C’est tout à fait naturel. C’est son corps qui exprime la douleur qui vient de son cœur. Et elles commencent à relater les évènements. « Ma fille est partie faire quelques petits achats au marché après l’école. C’est là qu’elle a été surprise par les eaux. Elles n’en est jamais revenue. »
« Ma fille est partie faire quelques petits achats au marché après l’école. C’est là qu’elle a été surprise par les eaux. Elles n’en est jamais revenue»
On trouve plusieurs petits attroupements spontanés de ce genre. Ils commentent sur les évènements. Un papa dans un groupe que je rejoins en marchant impose son analyse et le confirme : « Ce sont les creuseurs miniers qui sont à la base de ces dégâts. Ils dévient les rivières pour avoir de l’eau sur les lieux où ils travaillent. Ils font des barrages avec les eaux qu’ils dévient pour être sûrs d’en avoir pour longtemps, tant qu’ils en auront besoin. Et quand la pluie survient, elle trouve les choses dans cet état. Non seulement les eaux remplissent les trous déjà creusés par eux, mais aussi, elles cassent les barrages et les eaux se frayent un passage. Les rivières ainsi déroutées emportent tout au passage. Et voilà les dégâts ! »
Cette analyse est contredite par d’autres : « Non, c’est la faute à ceux qui coupent les arbres. Ils ne font que rechercher le « makala » (charbon de bois) sans se soucier de la suite. Et les arbres ne sont pas replantés. »
« Une catastrophe d’une telle ampleur n’a jamais été enregistrée ici, poursuit une dame dans le petit groupe. C’est la première du genre. Les catastrophes ne sont plus distancées, alors qu’avant elles laissaient un peu de répit. Les deux dernières sont séparées juste par un mois. La dernière avait eu lieu le 04 avril, mais elle n’avait pas causé autant de dégâts. » Pensez-vous que c’était une pluie ordinaire, celle-là ? – rétorque un homme – il y avait des forces surnaturelles à l’œuvre ! et la preuve : voyez ces grosses pierres ! Des eaux ordinaires ne peuvent pas à elles seules, faire ce que vous voyez là. On dirait qu’il n’a jamais existé ni maison, ni route ici. » C’est alors que je prends la parole aussi, et déjà nous marchons à trois tout en discutant. Je lui dis que les eaux sont puissantes et qu’elles sont capables de telles dégâts lorsque dans leur descente des hauts plateaux elles ne trouvent pas d’obstacle à leur passage. Et que la destruction se fait progressivement dans le temps, si rien n’est fait pour l’arrêter. Déjà en cours de route, quelque temps avant d’arriver à Bushushu, un autre lieu où la catastrophe est survenue, nous avons vu une colline en train de descendre. Et nous nous sommes dit qu’à l’occasion d’une prochaine pluie qui dure quelques heures, le glissement sera complet. Dans cet endroit, les quelques ménages sous menace commençaient à chercher où se réfugier.
« Le temps pour eux s’est arrêté il y a quelques jours»
J’avance avec ces interlocuteurs en m’éloignant progressivement du petit groupe. Je veux en savoir plus sur les deux dont l’aspect dissimule mal leur errance existentielle. Ils voient en moi, sans doute, une aide potentielle. Je leur dit l’objet de ma présence dans le lieu. Ils n’ont pas de peine à me croire. De toute manières, ils ne perdent rien à marcher encore des distances de plus avec l’inconnue que je suis. Le temps pour eux s’est arrêté il y a quelques jours.
J’apprends que l’homme a perdu sa femme et un de ses enfants, le petit dernier, le jour de la catastrophe. Tous les deux exerçaient comme enseignants dans le milieu. « Ma femme enseignait dans cette école. » Il montre du doigt quelque chose qui n’existe plus. « Elle était en réunion avec le directeur et ses collègues. Ils ont tous péri. » (Je me rappelle que j’ai croisé quelques minutes auparavant, dans le premier petit groupe, une dame qui indiquait que son fils qui était directeur d’école avait péri avec 7 de ses enseignants alors qu’ils étaient en pleine réunion). « Nous n’avons jamais retrouvé son corps, dit l’homme, tandis que celui du bébé, nous l’avons identifié parmi les autres. Nous avions l’habitude de laisser les enfants auprès de leur grand-mère maternelle pendant que nous étions à l’école et nous les récupérions le soir en rentrant à la maison. Ce jour-là, ma belle-mère venait de se séparer des trois plus grands (l’aîné a 7 ans), alors qu’elle gardait le tout petit (1 an et demi) attaché au dos. Elle allait fermer la porte de sa maison et quitter aussi. Elle a été surprise par les eaux. Son corps n’a pas été retrouvé alors que celui du bébé qu’elle avait au dos, nous l’avons retrouvé. » L’homme qui parle reste l’ombre de lui-même. Il dit que tout son corps tremble. Il n’arrive pas à dormir depuis les évènements malheureux. Il se sent perdu, seul avec les enfants sans sa femme. Il dit ne pas savoir par quel bout recommencer.
Plusieurs corps, comme celui de la femme de mon interlocuteurs sont encore sous les décombres entassés et recouverts de grosses pierres, difficiles à dégager à la main. A Nyamukubi comme à Bushushu, la présence des corps en décomposition se signale par une odeur fétide lorsqu’on passe à proximité. On ne saura probablement jamais le nombre exact des décès. A la date d’aujourd’hui, 10 mai, on dénombrait quelques 400 corps retrouvés et enterrés. 264 rescapés reçus dans des structures pour les soins. Des informations de bouche à oreille renseignent aussi que des corps ont été retrouvés à Idjwi, une île qui se trouve dans le lac Kivu. La catastrophe est survenue un jeudi, jour de marché à Nyamukubi. Des gens viennent des différents milieux pour vendre ou acheter des produits. Il est donc certain que tous les corps retrouvés ne sont pas nécessairement ceux des habitants du lieu.
A ce jour, aucune aide significative n’a encore été apportée à ces populations. Les rues sont « envahies » par les rescapés, du moins ceux qui ne sont pas hospitalisés. Ils espèrent quelque chose. Ils se mêlent aux visiteurs venus d’ailleurs, dont des parents des disparus venus constater de leurs yeux et pleurer sur les lieux où autrefois, ils rencontraient leurs proches. Depuis la catastrophe, chaque jour voit débarquer des délégations de divers ordres pour s’enquérir de la situation. Certains politiciens ont apporté quelques vivres et matelas. Trop insignifiants pour répondre aux besoins. Nous avons entendu que les sinistrés ont décliné la proposition de délocalisation pour un campement, préférant rester à proximité de chez eux et de la route. Chaque pluie ravive les peurs, mais une solution durable n’est pas de sitôt. L’une des pistes serait d’envisager un reboisement systématique en remontant aux moyens et hauts plateaux.
Marie-Noël Cikuru, mai 2023
Face à cette situation d’urgence, et avec l’appui de Memisa, Action d’Espoir apporte des abris d’urgence aux familles sinistrées. |
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